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20 juin 2015

Récit épique d'une traversée de l'Océan Atlantique Nord par Hélène et Jade


Chers amis et familles,

Nous voici enfin arrivés à Florès, la première île des Açores en arrivant de l’ouest. Nous y resterons quatre ou cinq jours avant de partir pour Faïal. Voici donc le récit de notre traversée, en espérant vous faire rêver d’aventures dignes de grands romans.

Nous partons le 29 mai le Nassau aux Bahamas, où nous avons préparé la traversée (courses, lessives, travaux d’entretien etc.). Michel décide de nous éviter une première journée de nav trop difficile et prend donc l’option ouest : nous partons dans le sens opposé de notre destination pour suivre le vent et le courant, sensés nous remonter le long de la Floride sans effort, avec trois nœuds supplémentaires  pour nous porter comme sur un tapis roulant.

Jours 1,2,3
Hélas, le courant n’est pas au rendez-vous et  le vent nous fait cruellement défaut. Nous voici empétolés sur une mer d’huile, magnifique mais nous n’avançons pas. Qu’à cela ne tienne, on profite du beau temps pour faire nos petits rituels de muscu, yoga, glandage au soleil, guitare, lecture, etc.…On se baigne à la traîne et mémé radote dans sa barbe « profitez, mes mignons, vous allez voir quand y aura baston ». Mais personne ne prête plus attention à cette vielle folle qui ressasse sans cesse ses histoires de traversées galères d’un temps jadis.

Jours 4,5,6
Ah, la pétole, c’est  vraiment plaisant, on peut  profiter du temps qui passe, hein ? oui, oui, mais, dis-moi, est-ce normal qu’on ait déjà bouffé dix kilos de riz alors qu’on est partis depuis trois jours ? ah, non, pas vraiment. Faudrait peut-être qu’on fasse une liste de rationnement. Mmh, on va y penser.   En attendant, on est au moteur on fait du nord-est et l’on attend le vent de la dépression qui doit nous passer dessus, ou devant ou derrière, on ne sait pas trop.

Jour 7,8,9
Regardez, les enfants, des cirrus. Ça, c’est bon signe, ça veut dire qu’on va bientôt avoir du vent. Ah, faut  déjà réduire la voilure ? Mince, bon, ben réduisons alors, c’est vrai que ça souffle pas mal déjà.


Le huitième jour, on est officiellement en baston. La vieille jubile « ha, vous faites moins les malins maintenant, bande de rigolos »,   il faut dire que la baston, c’est quelque chose, mais la baston au près, c’est vraiment éprouvant. On est trempés, on a froid, le bateau est sans dessus dessous et tout est mouillé.et ça dure, et ça dure. Quatre jours, c’est pas une éternité lorsqu’on peut dormir le soir dans un lit bien chaud et au sec. Mais en mer, c’est du 24h/24, tout est trempé et on ne se repose même plus lorsqu’on en est à ramper dans un duvet mouillé et grelotter jusqu’à s’endormir. Du coup, le temps s’étire.
Le moral des troupes tient assez longtemps, mais on fait l’apprentissage de l’économie de soi. C’est vraiment chouette de faire attention aux autres et de les soutenir pendant leurs quarts de barre et de nuit. Tout le monde est aux petits soins avec tout le monde, mais il faut bientôt en obliger certains à aller se coucher et à changer de vêtements au moins pour aller dormir. On réussit quand même à fêter l’anniversaire de Séb avec une superbe tarte au citron meringuée qui échappe de peu aux embruns. On a mis une bougie pour la forme mais inutile de dire que le vent ne nous permettait pas de l’allumer. C’était une belle bravade du temps.
Jade ne sera pas autorisée à rester sur le pont quand ça mouille à cause de sa blessure au doigt qui n’a pas fini de cicatriser. Et ça a mouillé pendant des jours et des jours, ce qui fait qu’elle a été un peu à part pendant les jours de mauvais temps. Le reste de l’équipage avait à peine le temps d’aller la voir dans sa cabine et de l’appeler pour manger.
Les repas se font en deux ou trois temps : un premier groupe retire son équipement : ciré et harnais, le pose en un gros tas mouillé dans la descente et s’installe à table. On mange d’abord et l’on boit ensuite, car il faut toujours une main pour tenir son bol sinon ça vole. On se croirait dans un monocoque ! Pendant ce temps-là, le barreur reste dehors avec une ou deux personnes pour lui tenir compagnie. À ce stade, tenir compagnie ne veut plus dire faire la conversation, c’est plutôt être assis là, pas loin, la tête baissée pour éviter les embruns et demander de temps en temps « ça va ? tu veux que je te remplace ? » C’est vraiment tout ce qu’on trouve à se dire mais c’est gentil et ça compte.
Ensuite, le groupe qui a mangé remonte et l’on recommence la procédure avec ceux qui viennent manger. On refait un tas de cirés mouillés, on mange en tenant son bol, on boit quand on a une main de libre et l’on prend un peu de chaleur avant de remonter. Ceux qui sont de cuisine ont la chance de passer plusieurs heures au chaud.


Jours 10,11,12
Enfin, la baston se termine !  On sort les matelas, les cirés et les trucs mouillés  au soleil qui réchauffe les os et les cœurs. On s’allonge sur le pont, on fait même un peu de lecture collective, de yoga... les activités qui nous semblaient banales avant mais qui maintenant relèvent du pur luxe. Un quart de nuit étoilé, une conversation légère ou même sérieuse avec son coéquipier, barrer avec les pieds, des petits plaisirs qui ont une saveur différente maintenant.
Les repas sont à présent  strictement réglementés : c’est pas qu’on va manquer de bouffe mais il faut obligatoirement faire une soupe par jour pour utiliser les aliments qui font moins envie que les pâtes et le riz : du chou, du chou, des haricots et surtout du chou. On râle un peu, mais on s’y fait. On se promet un méga poulet frites en arrivant, on rêve de pain et de fromage en sirotant notre énième soupe au chou.
Mais la vieille folle recommence à marmonner ses incantations superstitieuses.  « Faudrait voir à voir » qu’elle dit. Qu’est ce que cela signifie ?

Jours  13,14,15
Et voilà, ça re-souffle ! heureusement, cette fois-ci, on est au portant. C’est beaucoup moins pénible. Ça mouille moins et l’on voit Jade plus souvent . il faut bien barrer car la houle monte vite à six mètres de hauteur et l’un d’entre nous ( nous tairons le nom car il y a déjà litige sur qui est le meilleur du monde) réussit même un surf à plus de 20 nœuds. A cette vitesse, c’est pas que ça mouille, c’est qu’on a transformé le bateau en sous marin, la mer passe carrément au-dessus. On réduit peut-être ? ah, trop tard, on pète la bosse de ris pendant la manœuvre. Du coup, au lieu de prendre un ris, on est obligé de prendre le deuxième. C’est un signe du ciel (faites donc taire la vieille !) car à peine finie la manœuvre, on se retrouve avec 40 nœuds de vent  et l’on est bien contents de ne pas avoir à réduire à nouveau dans ces conditions devenues vraiment dignes de récits de bar !
Ca mouille moins mais c’est toujours éprouvant, on se dit qu’on a de la chance de ne plus être au près et l’on fait enfin des moyennes journalières dignes de ce nom. Plus de 200 milles par jour. On commence le compte à rebours avant de voir la terre.
Mais le vent vire doucement et s’ensuivent les jours de baston au travers. À ce stade, les narratrices s’aperçoivent qu’elles ont perdu le compte exact des jours, mais pour les besoins de l’histoire, elles vous demanderont de les croire sur parole.

Jours 16,17,18
Alors, la baston au travers, c’est vraiment la plus éprouvante pour les nerfs. On ne tient plus debout, tout se casse la figure, le barreur est sans cesse en lutte contre les vagues qui font encore trois ou quatre mètres et qui envoient le bateau valdinguer dans tous les sens.  Mais bon, on file et l’on se moque bien à présent des trois cents litres d’eau qui rentrent dans le cockpit. On se moque moins des cent cinquante qui parviennent à descendre dans le carré, mais on a dépassé le stade d’éponger quand l’eau rentre. Maintenant, on nage jusqu’à sa bannette et c’est tant pis.
On compte les milles, ça nous occupe. On arrive bientôt ? oui, oui. On sent bien que le fromage, le pain et le poulet frites ont envahi l’imaginaire de tous.

Jour 19
« Le premier qui voit la terre, je lui paye un coca » tiens, la vieille se réveille.  Alors aujourd’hui, personne ne va faire sa sieste, tout le monde veut barrer debout et guette l’horizon. 
Vers 15h, Anaëlle déclare que c’est elle qui gagne. Bon, on fera semblant de la croire . Mais dis donc… C’est-y pas qu’elle a raison ?
Ça fait drôle de ne plus avoir l’horizon au 360. On regarde l’île se dessiner et on rêve déjà aux randos. Inutile de rappeler que le repas d’arrivée est le thème principal.
Mais on aura déjà dîné à l’heure de jeter l’ancre dans la baie de Lajes.
Nous sommes de vrais marins, nous avons bravé l’océan dans toutes ses conditions et nous sommes fiers de pouvoir nous pavaner sur les quais en racontant nos histoires de mer qui deviennent de plus en plus épiques à chaque fois qu’on rencontre quelqu’un de nouveau pour écouter nos sornettes de vieux loups de mer qui ont fait la traversée « en baston ».                                      Hélène et Jade


16 juin 2015

Demain ils seront arrivés!

Leur position aujourd'hui à 14 heures GMT, 39°15 Nord 
36°57 Ouest, cap plein Est avec un vent de Sud à 37 noeuds.


15 juin 2015

Position du bateau le 15 juin

Le bateau était par 39°15 Nord et 41°45 Ouest à 14 heures GMT. Ils ont du vent de Sud à 30 noeuds et font route vers Florès où ils devraient arriver Mercredi...

13 juin 2015

la position du bateau le 13 juin à 14 h GMT

La position du bateau en ce samedi 13 juin, est la suivante: 38°40 Nord et 52°14 Ouest, ils ont du vent d'Ouest à 15 noeuds et ils font route au 75, vers l'île de Florès.
Ci-dessous la situation météo des prochains jours.


11 juin 2015

La position du bateau le 10 juin

Alors, à 14 heures GMT ils étaient par 35°40 Nord et 57°38 Ouest, ils avaient un vent de NNW 10 noeuds et faisaient route au cap 70°.




9 juin 2015

la position du bateau le 08 juin


Le bateau était par 36°14 N et 62°02W, ils avaient du vent d'Est 15/20 noeuds et faisaient route au NNE! Ils sont sous la pluie depuis 3 jours. Le vent devrait tourner demain...

5 juin 2015

DES ETRES HUMAINS A PART ….ENTIERE


Chers parents et amis et autres personnes concernées.

Je devais vous raconter la journée de je ne sais plus quand, où nous étions je ne sais plus où. Je peux vous dire qu’il y avait du soleil, que nous étions sur la mer turquoise des Bahamas et qu’il faisait très chaud. Voilà, vous en savez autant que moi sur le décor. Non, je ne suis pas blasée et chaque jour qui passe, je me félicite d’avoir saisi la chance de travailler pour GN. Mais j’ai plutôt envie de vous raconter comment vont les enfants.
Christophe et parti, Seb est arrivé et nous avons repris la mer. Nous faisons de l’Est à présent. Nous rentrons au bercail. Certes, il reste encore plus de 10 semaines à vivre ensemble et pour la plupart des adultes, l’aventure reste encore à venir, mais pour moi, nous avons déjà entrepris de ramener les petits à la maison.
Voici donc un aperçu de leur devenir, de leurs transformations. Ce point de vue n’est que le mien mais ça tombe bien, c’est mon texte.

Quand Kaïs est arrivé à bord, c’était un petit garçon avec des soucis bien précis en tête et d’autres beaucoup plus obscurs. Lui-même ne savait pas trop ce qu’il avait et par où se prendre. Il avait beaucoup de besoins et de demandes vis-à-vis d’adultes à qui il ne s’autorisait pas à faire confiance, même si on vivait à ses cotés jour après jour.
Aujourd’hui, c’est un grand gaillard, il faut souvent se rappeler (et lui rappeler aussi) qu’il n’a que 14 ans. Il a bien travaillé sur les points qu’il était venu affronter. Il a découvert des côtés de lui qu’il ne connaissait pas- des bons, des mauvais…
Un être humain à part entière, quoi !
Il apprend doucement à accepter ses faiblesses puisque c’est la seule façon d’en faire une force. Je lui souhaite de ne jamais oublier combien il est heureux et épanoui lorsqu’il est bien entouré, lorsqu’il ne garde pas ses soucis dans son sac, qu’il a quelqu’un à qui en parler et qu’il ne les occulte pas, comme nous avons le plaisir de le voir en ce moment, jour après jour. J’ai l’intention de l’aider à consolider ce bien-être au maximum pour qu’il ait plein de réserves dans la suite son odyssée à terre.



Philémon, lui, est arrivé à bord avec zéro souci. Juste envie de faire du bateau et de ne pas aller à l’école. Il n’avait pas réfléchi à ce que cela implique de vivre en collectivité pendant près d’un an. En tous cas, c’est ce que je crois. Il a donc découvert les décisions collectives, l’inertie de groupe, la nécessité de s’exprimer clairement si l’on veut être entendu, les efforts que demande chaque petite chose du quotidien quand on est 10 voire 11 à vouloir quelque chose de différent et de pas précis. Sa gentillesse a été un bon atout pendant qu’il faisait l’apprentissage parfois douloureux de codes sociaux qui lui sont pour la plupart complètement étrangers. Aujourd’hui, je le vois riche d’une expérience qu’il n’avait pas du tout prévu de vivre, en plus de celle qu’il attendait (naviguer, pas d’école, le voyage) : il vit avec un groupe d’amis, il rit avec eux, il pleure à cause d’eux, il a du plaisir à faire des choses avec ces amis, il s’autorise à s’engueuler avec eux (surtout moi) quand il n’est pas content, il apprend à réfléchir à ce que les autres ressentent (pas trop, quand même, c’est un ado !) il grandit plus sage et plus enjoué. Ah, bien sûr, on a définitivement renoncé à améliorer le niveau de ses blagues pourrites ( oui, Miren, j’ai bien dit pourriteuh), mais il semble qu’il soit tombé dedans quand il était petit. Alors on rit, même quand on ne comprend rien, parce que c’est quand même très drôle. Je suis sûre qu’il aura du plaisir et de l’intérêt à avoir un cercle d’amis à l’avenir. Des gens qui ne sont pas forcément d’accord avec lui mais qui font grandir car on compose avec l’autre. Un être humain à part entière, quoi !



Dayan, lui, c’est le roi du compromis. Au début du voyage, il était incapable d’avoir un avis sur quoi que ce soit. Il se laissait bouffer par les autres avec un fatalisme qui nous faisait de la peine. Heureusement qu’il a beaucoup d’humour, ça le sauvait d’un malheur certain ! C’est une bonne pâte, il est obligé de ne pas s’énerver et de subir les conflits sans broncher ; que ces conflits le concernent ou pas d’ailleurs, ça l’affecte beaucoup mais il ne se défend pas. Il s’est construit comme ça. En dehors des conflits, il respire mieux, il rigole tout le temps, il est le réservoir de bonne humeur du bateau. A présent, il a commencé à se plaindre quand quelque chose le dérange. Quand le sans-gêne des autres dépasse une certaine limite, il arrive enfin à le dire. J’aimerais qu’il fasse plus, qu’il se batte (non ,pas avec ses poings mais avec des mots) mais je comprends que c’est quelque chose que vraiment, vraiment, il ne veut pas se résigner à faire. Alors il fait sa vie, il vit son aventure à fond, il s’éclate avec son pote Kaïs et il ne se laisse pas embêter avec les petits tracas, les joutes verbales, les actes d’égoïsme et autres inconvénients que représente le côté humain de notre aventure. Il a de belles boucles blondes qu’il veut absolument couper, c’est le sujet de nos disputes à nous (j’abuse allègrement de mon autorité d’adulte pour interdire tout coupage de cheveux à bord) il s’éclate avec son pote Kaïs (comment ? je me répète ?), il réfléchit au retour en essayant de ne pas trop stresser sur les compromis à venir. J’envisage sérieusement le recours aux méthodes subliminales pour le convaincre de ne pas s’en faire, que sa vie, c’est lui qui la choisit, que c’est normal de ne pas savoir ce qu’on fera dans 10 ans et que surtout, faut pas se laisser emmerder.



Jade n’a pas eu le temps de se préparer au voyage, puisqu’elle n’a su qu’une semaine avant le départ qu’elle en était. Alors, bien sûr, elle l’a pris, ce temps de préparation. Elle l’a pris pendant que les autres se mettaient déjà au travail. Elle a traîné derrière pendant un moment, avec les « boulets » c’était plus confortable. On n’attend moins des « boulets » (on nous a reproché plusieurs fois d’utiliser ce terme de boulet. Il aurait fallu ne pas leur dire en face qu’on les traitait de boulet, c’est pas le genre de la maison)
Et puis, Chloé est partie. Jade n’a plus été en mesure de se vérifier par rapport à ce que j’appelle la boussole sud : le cap à ne pas tenir. La thèse du « je ne fais pas pire que l’autre alors foutez-moi la paix » s’est écroulée. On a été sur plus sur son dos, qu’elle fait de moins en moins rond, je note au passage. A force de l’obliger à parler en vrai, de ne rien accepter d’elle de moins que la vérité, il me semble que nous sommes en train d’amorcer une conversation sérieuse sur les raisons qui l’ont amenée ici.  Bien sûr, les responsabilités sur ce qu’a été son passé sont à distribuer largement autour d’elle, mais elle seule a la responsabilité de son avenir. Et l’avenir se met en place aujourd’hui. Pas demain, pas plus tard, quand tout ira mieux. Aujourd’hui, tout de suite, dans le plus petit des actes quotidiens. Avec ma façon très abrupte de parler de sujets profonds et mon « intelligence du cœur » qui parfois frise la connerie, je me dispute souvent avec Jade. Mais aujourd’hui plus que jamais, j’ai l’impression d’avoir un vrai dialogue avec elle. Nous arrivons enfin à parler du travail à faire. A faire en vrai. Alors au boulot, cocotte, il reste encore assez de temps pour faire une vraie différence.


Anaëlle est ma meilleure amie à bord et je lui fais une confiance totale pour tout. Aussi dois-je faire un effort particulier, tous les jours, pour ne pas être trop bienveillante à son égard, car nous détestons l’injustice plus que tout. Heureusement, elle aussi est un être humain à part entière et je trouve presque autant de choses à redire sur elle que sur les autres.
L’Anaëlle qui est montée à bord était la représentation de l’enfant modèle, celui que tous les parents rêvent d’avoir : polie, obéissante, pas exigeante, effacée, responsable, serviable, gentille, attentionnée, toujours d’accord avec tout le monde, même quand elle n’était pas d’accord. Toujours occupée à faire le bien autour d’elle, à prendre soin des autres…rien qu’à la décrire, j’étouffe.
Puis elle a commencé à franchement s’amuser. A vivre à fond, pour elle, pas pour les autres, d’ici et d’ailleurs. Elle a cessé de se soucier de ce que voulaient les autres. Elle s’est mise à dire quand quelque chose ne lui convenait pas, quand les autres l’ennuient. Elle n’est pas apaisée, assagie, calmée comme elle avait prévu d’être à son retour. Elle est vivante, à fond dans sa vie, avec mille projets qui se télescopent. Elle a pris son envol et nous ne sommes déjà plus qu’un perchoir où elle revient manger et dormir. Parfois, elle étouffe de vivre en groupe, parfois, elle rayonne à la tête de sa horde de garçons. Elle aura la force de ne rien laisser flétrir de cette envie de tout qu’elle laisse enfin s’exprimer. Enarque ou bien voltigeuse, peu importe, pourvu qu’elle ne doute plus jamais d’elle-même.


J’ai gardé Moussa pour la fin, bien sûr. Je revois sa mère en pleurs sur le quai d’Alger qui me crie alors que les amarres sont déjà larguées « prends bien soin de mon bébé » j’en ai encore les larmes aux yeux aujourd’hui. Ma chère Kaïma, ton fils est en bonne santé, il n’a jamais eu faim ni froid, il n’a jamais été en danger et nous veillons à son confort nuit et jour. Mais c’est bien la seule promesse que j’aie pu tenir. Moussa n’a pas grandi, il ne veut pas. Il a même réussi à rester petit dans son corps, ses vêtements lui sont toujours trop grands. Il passe le temps assis à regarder passer le voyage. Parfois même, il ne regarde même pas. Il se cache derrière ses cheveux et secoue la tête. J’ai l’impression qu’il dit « non, non, je ne grandirai pas ». Il fait ça souvent. Il dit même qu’il ne comprend pas ce qu’on attend de lui.
Je suis passée par tous les stades : l’affection, la colère, le rejet, l’indifférence, le questionnement, la bienveillance, la frustration. Je suis sûre que tu comprends certains des sentiments que j’éprouve pour ton fils. Mais aucun de mes différents états d’esprit ne m’ont permis d’éclaircir le mystère : pourquoi Moussa est-il bloqué dans le corps et l’esprit d’un enfant de huit ans ? Pourquoi met-il en échec presque toute forme de progression ? Lui-même est incapable de verbaliser quoi que ce soit et nous répond toujours « bé, je sais pas »
Je n’arrive toujours pas à discerner le manque de volonté du manque de capacité, la mauvaise foi de la réelle difficulté, et bien que je sois l’adulte qui le connaît depuis le plus longtemps à présent, et si je mets de côté la colère qu’il suscite et moi et l’apitoiement qu’il force chez tous, je suis toujours incapable de décrire ce dont Moussa a besoin et ce dont il est capable. Je sais juste qu’à 10 semaines de la fin du voyage, il ne s’est pas encore réveillé et que j’attends encore un signe pour que je puisse à nouveau lui tendre la main et faire ce dernier bout de voyage avec lui.


Voilà, chers parents et amis et autres, comment je vois les jeunes alors que nous avons dépassé les 8 mois de voyage. J’espère que ce billet vous aidera à reconnaître votre enfant sur le quai d’Alger, si vous y venez, pour ne pas le confondre avec un autre, parce que sur le plan physique, ils sont plutôt homogènes : bronzés, chevelus, blondis et souriants, alors ne vous trompez pas. Ils se ressemblent un peu plus chaque jour.
Un vrai groupe de Robinson de l’Atlantique que nous vous ramenons ; bien loin des petits soucis de la civilisation européenne. Mais ne sautez pas dans vos métro et voitures pour venir nous voir, nous avons encore des trucs à vivre avant de rentrer. On vous fera signe quand on sera prêts.
Bien à vous
LN 

3 juin 2015

Nouvelles de la traversée le 03 juin


Le bateau a enfin touché du vent, à 18 heures (française) ils avançaient à 8 noeuds et faisaient route au 60°,  sous des grains. Comme vous pouvez le constater sur la carte météo ci-dessous ils devraient continuer à avoir du vent, les dépressions chassant l'Anticyclone!


1 juin 2015

Nouvelles du bateau. le 01 juin


Le bateau est en "traversée" depuis vendredi, ils avancent doucement avec très peu de vent. Et un Anticyclone qui s'étend jusqu'aux Açores. Ils faut donc qu'ils remontent assez haut au Nord pour trouver des dépressions et donc du vent!