Bonjour à tous,
Eh oui, ça y est, nous l’avons fait, on est des vrais. Nous avons traversé cet océan Atlantique pour la deuxième fois. 17 jours, 9 heures et 46 minutes ( 16 h de moteur) et 2904 milles parcourus sans voir la terre, à peine quelques cargos flirtèrent avec l’horizon. Alors comment vous raconter ces deux semaines hors du temps ? Deux semaines, bercés (enfin, remués, dira Ewen) par les vagues. Avec Ewen, on se souvient d’un temps que les moins de deux semaines ne peuvent pas connaître. Un temps où Annette et François nous demandaient, la veille de notre départ : « En un mot, ça vous fait quoi de traverser l’Atlantique ? » Ewen avait répondu : «Fatigue ? ». Maxime : « Stressant ». Tanaé : « Excitée », Maylou : « On y va ! », Séb : « Organisation », Lola : « Enthousiaste », Théo : « Enthousiaste de ne plus voir la terre, peur pour mes proches et j’ai l’appréhension de me sentir inutile à cause de mon poignet ». Sydney : « Je suis contente ». Morgane « Vive les étoiles. » Lobsang : « Wahouuu ».
Oui, en ce temps-là, on quittait Ismaël sous un grand soleil, sous la corne de brume du Bonaparte qui nous escorta de leur amitié durant quelques milles. En ce temps-là , on guettait le vent qui était plutôt discret… On s’arrêta même à Grand Bahamas une nuit pour réajuster nos réserves en gasoil afin d’être sûrs d’avancer si Éole manquait à l’appel. Si on avait su !!!
Notre départ véritable est donc le lundi 3 mai…
Et pour tout vous dire, nous avons vécu une traversée extraordinaire.
Tout d’abord nous remontons vers le nord, longeant les côtes américaines et leurs orages qui illuminent nos quarts de nuit. Nous allons chercher le vent, et de ce fait, la dépression en guise de propulseur. À ce moment nos journées s’écoulent sous le soleil, travail, initiation au sextant, matelotage, baignade, guitare et lecture collective ( les aventures d’Ulysse et Les Garennes de Watership down). Puis un jour, le vent est arrivé. Nous voyons un arc en ciel encerclant le soleil. On se regarde. Il paraît que c’est le signe de l’arrivée d’une dépression. Et là, l’aventure commence !
Le vent forcit, les vagues se gonflent, les grains se préparent… Chaque nuit c’est le festival des manœuvres pour réduire la toile, yankee, yankee arisé, trinquette et ris dans la grand-voile. La pluie nous tombe sur la tête régulièrement. Par Toutatis, et ce n’est pas tout. Le vent du nord nous glace le corps et s’infiltre dans nos vêtements. ( Je me souviens d’Océane qui me conseillait de prendre des polaires en plus en vue de la traversée retour… bien joué!). Quand enfin le vent du sud arrive, plus chaud, il est accompagné de gigantesques vagues de 7 mètres de hauteur dans les creux ( les plus grandes que Lobsang ait vues de sa vie). C’est le rodéo, surf à 22,8 nœuds, douches aux embruns sous la pluie, et en maillot pour les intrépides. La chorégraphie de « Mou Mou la mouette » devient notre manière de nous réchauffer. On se relaie à la barre de manière rigoureuse. L’équipage s’organise et se relaie. … On serre les dents.Et un jour, le soleil revient, on s’extasie, on savoure, on sèche tout, pulls, vestes de quarts, pantalons, matelas, petites culottes…
Eh oui, l’eau s’est infiltrée partout… À peine séché le barreur nous dit à nouveau : « Y a encore un arc en ciel autour du soleil ». Et rebelote, c’est reparti pour le grand froid, puis la danse des vents. Le plancton fluorescent jaillit de la mer, véritable feu d’artifice nocturne. Des tas de méduses à voiles, toutes plus belles les unes que les autres, nous accompagnent ainsi que les oiseaux que l’on n’aperçoit qu’en pleine mer. Au coeur de la dépression, le vent disparaît. La mer devient plate comme un miroir, les dauphins communs et tachetés sautent et nous arrachent des cris de joie. Quand soudain, contre toute attente, une baleine à bosse saute. Tout le monde se précipite sur le pont. Ouahouououou, ça fait quelque chose de retrouver les copines en pleine traversée de l’Atlantique. On ne se doutait pas de tant de vie sous l’océan si grand, si vaste, si gris.
Le lendemain ce seront les rorquals qui accompagneront le bateau dans les vagues entre les bourrasques de vent mugissant. Le vent ne faiblira plus, le froid devient notre compagnon, le soleil des tropiques nous paraît bien loin ! Les milles défilent… Les esprits s’adaptent et chacun de nous sort son soleil intérieur, on danse la salsa, le funky, on joue aux Haricots, de la guitare, on lit, on se fait des câlins et les Grandeurs Naturiens se mettent en tas pendant la lecture co.
Et voilà que le 20 mai au réveil, « Terre en Vueeeee ». Voici Flores et Corvo qui dressent leurs falaises haut sur l’horizon. Youyououou… Camille et Marco nous voilà, Louise et Pierre nous voici.
Nous sentons les marins au long cours. Certains rêvent d’hortensias et d’arbres, d’autres de beurre et de glaces, d’autres encore de courriers et de mails ou de chaleur et de bricolage, et enfin de vélo et de paysages verdoyants.
Quand même, sachez-le, durant cette traversée, vous avez habité nos pensées et peuplé nos esprits lors des heures passées à la barre…
La morale de cette histoire c’est qu’on a vachement moins le mal de mer ( même en restant dans les coques au près). Le mal de mer est KO face au mal de froid.
Alors au final, telle une épreuve initiatique, cette traversée nous a bousculés dans notre confort et voici ce qu’elle nous a appris :Ewen : « J’ai appris à me couvrir, à prendre soin de moi et des autres, à me soigner et à faire des manœuvres sous la pluie. »
Tanaé : « J’ai appris à ne pas rentrer trop d’affaires humides dans les coques. Et aussi que je pouvais rester dans le bateau sans avoir trop le mal de mer. »
Lobsang : « J’ai appris qu’il vaut mieux s’occuper de ses dents avant ou après la traversée mais pas pendant. Et que pendant la tempête on est plus fort en équipage. J’ai aussi appris à faire les choses ( manœuvres et autres brossages de dents ) dans le noir ».
Lola : « J’ai appris à faire de l’estime, à faire un point sextant. À fabriquer un lock artisanal et profiter de la nature qui nous entoure ».
Séb : « Ça m’a appris à persévérer dans ce que l’on croit. Chaque jour est unique. »
Sydney : « Cette traversée m’a appris à voir toute la beauté qu’il y a à prendre soin des autres et être attentif à eux. Cette traversée m’a donné beaucoup de confiance en moi ».
Maxime : « Elle m’a appris à prendre soin de moi, à gérer l’humidité, me changer pour ne pas avoir des irritations. Ça m’a appris qu’il faut du temps pour réchauffer son corps. »
Théo : « Elle m’a appris que je pouvais être paralysé par le froid et que quand il fait froid comme ça, on peut toucher les trucs chauds sans que ça brûle. Ça m’a fait du bien d’être en mer, je me sentais calme même si quelquefois j’étais à fleur de peau ».
Maylou : « J’ai appris que même mouillée fallait tout prendre en autodérision parce qu’autrement il y avait moyen de péter un plomb. J’aime la pluie mais pas en bateau ».
Morgane : « La traversée m’a appris à garder le cap, nourrir mon soleil intérieur et de me réjouir de chaque petit rayon que m’ont apporté les autres. Et que j’aime y lire un bon roman d’aventures et écouter de la musique plutôt rock !! »
Après avoir fait notre rituel d’arrivée, c’est à dire un petit test Covid, nous prévoyons des randonnées et de passer un temps chez Marco et Camille pour bricoler.
Nous resterons une quinzaine de jours sur les îles des Açores avant de reprendre la mer vers la Méditerranée. On vous envoie 10 bises portées par le vent d’ouest…
À bient’eau !! Ewen et Morgane