Chers amis et familles,
Nous voici enfin arrivés à Florès, la première île des Açores
en arrivant de l’ouest. Nous y resterons quatre ou cinq jours avant de partir
pour Faïal. Voici donc le récit de notre traversée, en espérant vous faire rêver
d’aventures dignes de grands romans.
Nous partons le 29 mai le Nassau aux Bahamas, où nous avons
préparé la traversée (courses, lessives, travaux d’entretien etc.). Michel décide
de nous éviter une première journée de nav trop difficile et prend donc
l’option ouest : nous partons dans le sens opposé de notre destination
pour suivre le vent et le courant, sensés nous remonter le long de la Floride
sans effort, avec trois nœuds supplémentaires pour nous porter comme sur un tapis roulant.
Jours 1,2,3
Hélas, le courant n’est pas au rendez-vous et le vent nous fait cruellement défaut.
Nous voici empétolés sur une mer d’huile, magnifique mais nous n’avançons pas. Qu’à
cela ne tienne, on profite du beau temps pour faire nos petits rituels de
muscu, yoga, glandage au soleil, guitare, lecture, etc.…On se baigne à la traîne
et mémé radote dans sa barbe « profitez, mes mignons, vous allez voir
quand y aura baston ». Mais personne ne prête plus attention à cette
vielle folle qui ressasse sans cesse ses histoires de traversées galères d’un
temps jadis.
Jours 4,5,6
Ah, la pétole, c’est
vraiment plaisant, on peut
profiter du temps qui passe, hein ? oui, oui, mais, dis-moi, est-ce
normal qu’on ait déjà bouffé dix kilos de riz alors qu’on est partis depuis
trois jours ? ah, non, pas vraiment. Faudrait peut-être qu’on fasse une
liste de rationnement. Mmh, on va y penser. En attendant, on est au moteur on fait du nord-est et l’on
attend le vent de la dépression qui doit nous passer dessus, ou devant ou derrière,
on ne sait pas trop.
Jour 7,8,9
Regardez, les enfants, des cirrus. Ça, c’est bon signe, ça
veut dire qu’on va bientôt avoir du vent. Ah, faut déjà réduire la voilure ? Mince, bon, ben réduisons
alors, c’est vrai que ça souffle pas mal déjà.
Le huitième jour, on est officiellement en baston. La
vieille jubile « ha, vous faites moins les malins maintenant, bande de
rigolos », il faut dire
que la baston, c’est quelque chose, mais la baston au près, c’est vraiment éprouvant.
On est trempés, on a froid, le bateau est sans dessus dessous et tout est
mouillé.et ça dure, et ça dure. Quatre jours, c’est pas une éternité lorsqu’on
peut dormir le soir dans un lit bien chaud et au sec. Mais en mer, c’est du
24h/24, tout est trempé et on ne se repose même plus lorsqu’on en est à ramper
dans un duvet mouillé et grelotter jusqu’à s’endormir. Du coup, le temps s’étire.
Le moral des troupes tient assez longtemps, mais on fait
l’apprentissage de l’économie de soi. C’est vraiment chouette de faire
attention aux autres et de les soutenir pendant leurs quarts de barre et de
nuit. Tout le monde est aux petits soins avec tout le monde, mais il faut bientôt
en obliger certains à aller se coucher et à changer de vêtements au moins pour
aller dormir. On réussit quand même à fêter l’anniversaire de Séb avec une
superbe tarte au citron meringuée qui échappe de peu aux embruns. On a mis une
bougie pour la forme mais inutile de dire que le vent ne nous permettait pas de
l’allumer. C’était une belle bravade du temps.
Jade ne sera pas autorisée à rester sur le pont quand ça
mouille à cause de sa blessure au doigt qui n’a pas fini de cicatriser. Et ça a
mouillé pendant des jours et des jours, ce qui fait qu’elle a été un peu à part
pendant les jours de mauvais temps. Le reste de l’équipage avait à peine le
temps d’aller la voir dans sa cabine et de l’appeler pour manger.
Les repas se font en deux ou trois temps : un premier
groupe retire son équipement : ciré et harnais, le pose en un gros tas
mouillé dans la descente et s’installe à table. On mange d’abord et l’on boit
ensuite, car il faut toujours une main pour tenir son bol sinon ça vole. On se
croirait dans un monocoque ! Pendant ce temps-là, le barreur reste dehors
avec une ou deux personnes pour lui tenir compagnie. À ce stade, tenir
compagnie ne veut plus dire faire la conversation, c’est plutôt être assis là,
pas loin, la tête baissée pour éviter les embruns et demander de temps en temps
« ça va ? tu veux que je te remplace ? » C’est
vraiment tout ce qu’on trouve à se dire mais c’est gentil et ça compte.
Ensuite, le groupe qui a mangé remonte et l’on recommence la
procédure avec ceux qui viennent manger. On refait un tas de cirés mouillés, on
mange en tenant son bol, on boit quand on a une main de libre et l’on prend un
peu de chaleur avant de remonter. Ceux qui sont de cuisine ont la chance de
passer plusieurs heures au chaud.
Jours 10,11,12
Enfin, la baston se termine ! On sort les matelas, les cirés et les trucs mouillés au soleil qui réchauffe les os et les cœurs.
On s’allonge sur le pont, on fait même un peu de lecture collective, de yoga... les
activités qui nous semblaient banales avant mais qui maintenant relèvent du pur
luxe. Un quart de nuit étoilé, une conversation légère ou même sérieuse avec
son coéquipier, barrer avec les pieds, des petits plaisirs qui ont une saveur
différente maintenant.
Les repas sont à présent strictement réglementés : c’est pas qu’on va manquer de
bouffe mais il faut obligatoirement faire une soupe par jour pour utiliser les
aliments qui font moins envie que les pâtes et le riz : du chou, du chou,
des haricots et surtout du chou. On râle un peu, mais on s’y fait. On se promet
un méga poulet frites en arrivant, on rêve de pain et de fromage en sirotant
notre énième soupe au chou.
Mais la vieille folle recommence à marmonner ses
incantations superstitieuses. « Faudrait
voir à voir » qu’elle dit. Qu’est ce que cela signifie ?
Jours 13,14,15
Et voilà, ça re-souffle ! heureusement, cette fois-ci, on
est au portant. C’est beaucoup moins pénible. Ça mouille moins et l’on voit
Jade plus souvent . il faut bien barrer car la houle monte vite à six mètres
de hauteur et l’un d’entre nous ( nous tairons le nom car il y a déjà litige
sur qui est le meilleur du monde) réussit même un surf à plus de 20 nœuds. A
cette vitesse, c’est pas que ça mouille, c’est qu’on a transformé le bateau en
sous marin, la mer passe carrément au-dessus. On réduit peut-être ? ah,
trop tard, on pète la bosse de ris pendant la manœuvre. Du coup, au lieu de
prendre un ris, on est obligé de prendre le deuxième. C’est un signe du ciel
(faites donc taire la vieille !) car à peine finie la manœuvre, on se
retrouve avec 40 nœuds de vent et l’on
est bien contents de ne pas avoir à réduire à nouveau dans ces conditions
devenues vraiment dignes de récits de bar !
Ca mouille moins mais c’est toujours éprouvant, on se dit
qu’on a de la chance de ne plus être au près et l’on fait enfin des moyennes
journalières dignes de ce nom. Plus de 200 milles par jour. On commence le
compte à rebours avant de voir la terre.
Mais le vent vire doucement et s’ensuivent les jours de
baston au travers. À ce stade, les narratrices s’aperçoivent qu’elles ont perdu
le compte exact des jours, mais pour les besoins de l’histoire, elles vous
demanderont de les croire sur parole.
Jours 16,17,18
Alors, la baston au travers, c’est vraiment la plus éprouvante
pour les nerfs. On ne tient plus debout, tout se casse la figure, le barreur
est sans cesse en lutte contre les vagues qui font encore trois ou quatre mètres
et qui envoient le bateau valdinguer dans tous les sens. Mais bon, on file et l’on se moque bien
à présent des trois cents litres d’eau qui rentrent dans le cockpit. On se
moque moins des cent cinquante qui parviennent à descendre dans le carré, mais
on a dépassé le stade d’éponger quand l’eau rentre. Maintenant, on nage jusqu’à
sa bannette et c’est tant pis.
On compte les milles, ça nous occupe. On arrive bientôt ?
oui, oui. On sent bien que le fromage, le pain et le poulet frites ont envahi
l’imaginaire de tous.
Jour 19
« Le premier qui voit la terre, je lui paye un
coca » tiens, la vieille se réveille. Alors aujourd’hui, personne ne va faire sa sieste, tout le
monde veut barrer debout et guette l’horizon.
Vers 15h, Anaëlle déclare que c’est elle qui gagne. Bon, on
fera semblant de la croire . Mais dis donc… C’est-y pas qu’elle a
raison ?
Ça fait drôle de ne plus avoir l’horizon au 360. On regarde
l’île se dessiner et on rêve déjà aux randos. Inutile de rappeler que le repas
d’arrivée est le thème principal.
Mais on aura déjà dîné à l’heure de jeter l’ancre dans la
baie de Lajes.
Nous sommes de vrais marins, nous avons bravé l’océan dans
toutes ses conditions et nous sommes fiers de pouvoir nous pavaner sur les
quais en racontant nos histoires de mer qui deviennent de plus en plus épiques à
chaque fois qu’on rencontre quelqu’un de nouveau pour écouter nos sornettes de
vieux loups de mer qui ont fait la traversée « en baston ». Hélène et Jade
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