Ici c’est dégueulasse, j’ai de la vase qui s’accroche partout à cause des égouts de la ville qui se jettent dans la baie de Samana. Vivement qu’on aille sur le banc d’argent ! Maintenant je connais bien ce lieu, c’est toujours une eau pure que j’y retrouve. C’est à chaque fois avec un nouvel équipage que je m’y rends.
Mais avant d’y aller faut se ravitailler, des tonnes et des tonnes de flans de leches m’alourdissent. Ils ont pas trouvé que ça, les équipiers, pour se nourrir et déguster les spécialités de la République Dominicaine. Des légumes, des fruits, des “yogurts naturals” en galons, des chocolats embajadors et je suis sûr que s’ils avaient un congélateur à bord ils auraient même achetés pleins d’empanadas (des beignets fris typiques d’ici, soit au poulet, soit au fromage).
Dans leur folie d’achats, ils ont comblé tous les casiers mais ils ont oublié l’élément de base : le riz. Est-ce une subtilité pour éviter d’avoir à en prendre dans ma Grand Voile ? Visiblement ça n’a pas marché ! Car durant la micro navigation jusqu’au Banc d’Argent les ris furent imposés : mon solent hissé, 3 ris dans ma GV et leurs estomacs secoués car nous étions au près. Les seaux se remplissent, les embruns jaillissent, les visages palissent et mes coques frémissent. 21 h plus tard, en plein milieu de l’océan, mon sondeur détecte une profondeur. “Bienvenido en el Banco de la Plata” s’écrit le barbu qui me cajole depuis 30 ans. Ce petit déj’ musical accompagne parfaitement les caudales qui nous accueillent.
Pour Isaac, les baleines sautent en l’air à l’occasion de son anniversaire. Et moi, je suis ma route en direction de la barrière de corail, qui nous protégera des vagues. Sur mon pont, je comprends que les équipiers scrutent l’horizon en cherchant les premières patates de corail. Je n’ai jamais goûté mais apparement ça peut me tuer, donc vaut mieux pas tester. Les baleines continuent de nous saluer. Au loin, nous n’apercevons aucun bateau, ce qui signifie l’absence des charters. Je suis content parce que je les aime pas. Ils trichent, ils ont même pas de voiles, ils se placent devant le coucher du soleil et en plus leurs annexes foncent sur les baleines. Mais assez vite, nous voyons leur bouée, ce qui est un mal pour un bien car nous pouvons nous accrocher à leur bouée le temps que 4 équipiers puissent installer mon mouillage. En plus, ce jour-là, la mer est bien agitée, malgré la barrière de corail, il y a un vent de ouf. C’est donc Matis, Yann, Ismaël, et Isaac qui partent en annexe pour me concocter un mouillage, en toute sécurité, à notre patate de corail habituelle. Une chaîne, des manilles, des bouées, de la bonne apnée et le tour est joué. Pendant l’installation du mouillage, Isaac s’émerveille de cette nature aquatique tandis que les autres sont focus sur la mission. Enfin amarré !
La routine ici c’est quoi ?
Déjà, il paraît qu’ils doivent travailler avec leurs neurones, moi je connais pas j’en ai pas. Mais moi au moins, j’ai des safrans, sauf le jour où ils m’ont ôté celui de bâbord. Apparement il était déboité alors mon vieux barbu et le capitaine l’ont réparé, un jour où nous étions sur la plaine de sable. Donc je disais, leur travail de tête est principalement animé par les cours d’espagnol. C’est la guatemaltèque du bord qui se charge de cet enseignement aux ptits jeunes. Cela, j’ai vite vu qu’ils préféraient plonger dans l’eau plutôt que dans leurs cahiers. Mais ça, c’est l’étape d’après : plongées et observation des baleines lorsque les charters ne sont pas là. Ils nagent aux alentours du mouillage pour découvrir le Polyxéni (épave d’un vieux bateau en métal), la barrière de corail ainsi que tous les animaux qui s’y abritent :
les poissons perroquets, les poissons anges, les poissons chirurgiens, les poissons trompettes, des barracudas, bon des poissons de toutes les couleurs. Mais il y a aussi des requins, des tortues et même des raies. Ils semblent fascinés par tous ces êtres.
Ils s’amusent aussi à trouver des tunnels dans ces nombreux coraux pour les traverser. Donc nous disions, quand il y a les charters, le rythme quotidien se modifie : nous larguons le mouillage direction Sud-Ouest vers la plaine de sable. Moi j’aime bien, c’est ma petite promenade de la journée, tel un vieillard. Nous parcourons autour de 7-8 miles nautiques à la recherche des baleines - sans charters à proximité c’est plus facile de les apercevoir. La plaine de sable est souvent l’aboutissement, c’est un endroit plat, à moins de 20 mètres de fond, sans corail qui permet d’entendre le chant des baleines à des miles à la ronde, même que deux fois j’ai ressenti vibrer mes coques par la présence d’une baleine chanteuse toute proche.
Pour le retour, ils m’allument souvent les moteurs à cause du vent de face. Et comme à l’aller, il y a toujours deux personnes à l’eau qui se font tracter par des bouts de bois. Apparemment, ils appellent ça des ailes, ça a l’air bien rigolo à les entendre. Cependant, ils savent aussi faire preuve de sérieux lors du goûter pour écouter la lecture collective. Le soir venu, tout paisible après un bon repas, les 12 marins s’installent pour la séance “soleil couchant”. Ils espèrent voir le fameux rayon vert quand le soleil disparait à l’horizon.
La nuit tombe vite et même qu’un soir j’ai senti de l’excitation sur mon pont, les yeux rivés sur le ciel ils observaient une fusée ! Durant 5 minutes, cet objet volant parcouru le ciel jusqu’à traverser l’atmosphère et disparaître lentement. Avec moi, il n’y a pas d’écran et tous ces temps-là sont remplacés par ceux que la nature nous offrent. Durant ces 17 jours en huit-clos, dans cette bulle hors du temps, ils suivent quand même les dates, même si ils semblent un peu perdus… Isaac et Anouk ont fêtés leur anniversaire le bon jour, mais Ismaël a eu le droit à son anniv deux mois plus tôt car son départ est imminent. Et qui dit anniversaire dit gâteau (généralement confectionné par Mathys Morgan) ainsi que des cadeaux fait mains. Un moment agréable, joyeux et plein de rigolades.
Alors que ces mots sont rédigés les baleines m’approchent enfin. J’en avais pas vu d’aussi près cette année. Il y en a une, j’ai cru qu’elle allait m’écraser, son baleineau s’est approché à dix mètres en sautant de manière maladroite à plusieurs reprises.
C’était impressionnant, mon vieux barbu à même hésité à fermer mes capots. La veille du départ, de bon matin, des baleines au loin sont aperçues, au même endroit pendant un long moment, ce qui pousse des plongeurs à les rejoindre. Ils n’ont qu’à se laisser porter par le courant et les voilà face à face avec une baleine et son baleineau. Elles ne bougeaient pas et ne semblaient pas dérangées par leur présence. D’abord quatre nageurs puis deux autres les ont rejoins pour vivre à fond cette rencontre. Le baleineau était excité comme une puce contrairement à sa mère qui ne bougeait pas d’un poil. Une rencontre de 30 minutes qui restera à jamais gravée dans les mémoires de cette moitié d’équipage. Les autres, restés à bord, ont vu des baleines la veille. Une mère, l’escorte et son baleineau semblaient intrigués par leur présence dans l’eau mais pas suffisamment pour s’y arrêter. Tout l’équipage espère que ce n’est qu’un avant goût pour la prochaine session à Silver Bank !
A présent nous mettons cap sur Samana pour débarquer Ismaël et ravitailler les vivres.
Signé : le bateau Grandeur Nature
Océane et Isaac
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