Le 10/02/2023, L'arrivée à Samana
A notre droite Puerto Rico scintille de mille feux. Une traînée d’étoiles est tombée là, au milieu des hommes pour illuminer la nuit. Histoire de peurs ancestrales, la nuit mystérieuse pour les hommes qu’on tente de dompter en l’éclairant à grand coup de réverbères. Mais sur la mer, on a appris à l’apprivoiser, à lire dans la voie lactée les constellations, nos routes ou notre position.
Quand Chad repère la croix du Sud, il me demande comment localiser la polaire qui indique le Nord. J’imagine que pour Tallia qui vit avec nous ses premières navigations, tout cela doit être un drôle de charabia. Pendant ce temps sur le bateau, le reste de l’équipage dort profondément. Nous franchissons le cap rouge, el cabo rojo, extrême pointe Sud Ouest de Puerto Rico et nous entrons dans le « Mona Passage » ou « le passage du vent ».
Après un coup de mole que l’on attribuera à l’île (au vent de notre bateau), qui nous barre les précieux alizés porteurs de vent Nord-Est. Nous savons que nous retrouverons éole d’ici quelques milles. Nous devinons au loin les lueurs de la République Dominicaine, un cargo fait son apparition par l’arrière, passe sur notre franc-bord, avant de nous dépasser par bâbord et de s’évanouir dans le lointain. La nuit est fraîche bizarrement. Alors on s’emmitoufle dans nos polaires, nos chaussettes et même nos bonnets, avant de retoucher du vent au prés qui forcit rapidement. Avec lui, la houle se creuse dans les premières lueurs du jour qui ne tardent pas à poindre, puis à nous éblouir. Une à une, les frimousses encore ensommeillées des membres de l’équipage font surface et viennent s’agglutiner sur les rares banquettes qui sont préservées de la houle qui explose maintenant sur le pont et gerbe dans le cockpit. Il nous faudra finalement abattre de quelques degrés pour garder notre petit déj’ au sec. Le bon pain du bord est tout beau mais je n’ai malheureusement pas encore la recette des tartine water proof. Je suis au poste de barre quand nous entamons une diagonale dans le Mona Passage. Nous naviguons alors au solent avec un riz dans la Grande Voile. Pourtant la mer est calme et il nous faudra encore plusieurs heures avant de toucher la grosse houle de l’Atlantique (au Nord) qui tente ici une intrusion dans la mer de Caraïbes (au Sud). Par cette petite porte s’engouffrent pèle-mèle la mer, le vent et les marées, forçant ou forcissant dans le Mona Passage. Avec Mathys, nous sommes de cuisine. Alors nous tentons de nourrir un équipage atteint du mal de mer en prime. Malgré tous les maux de ventres mes compagnons gardent un appétit féroce pour le Chili con riz.
Bientôt l’immense bouche, la grande baie de Samana s’ouvre sur l’horizon. Je ne me lasserais jamais de cette arrivée splendide sur la République Dominicaine, quand on entend crier sur le pont « Baleines, Baleines... »
« HOOOoo, regardez ! Un baleineau qui saute comme pour nous souhaiter la bienvenue ! »
La nuit tombe doucement tandis que nous filons, toujours à 10 noeuds dans la baie de Samana. Il nous faut être vigilants aux barques, aux casiers de pêche, et aux éventuels filets qui jalonnent ces eaux côtières, peu profondes, investies par les Hommes. Ce n’est qu’une fois la nuit franchement tombée, face à l’îlot du levant, que nous jetterons à l’aveugle notre ancre à tête plombée, qui quittera la proue dans un gros plouf, puis un cliquetis de chaîne assourdissant. Nous sommes mouillés à une brassée de la plage, dans une petite passe entre l’îlot du levant et un petit ilet corallien, sur cette langue de sable blanc que nous connaissons par chœur. L’eau, normalement verte, est noire d’encre sous les reflets de la lune, les poissons frétillent dans le faisceau de nos lampes, la nuit semble douce, mais un grain nous précipite rapidement dans nos cabines où je rejoindrais ma lecture sur les révoltés du Bounty, que je vous conseille d’ailleurs pour sa valeur historique, avant de m’endormir dans un sommeil profond.
Bonne nuit les choubidous.
Texte d'Ismaël et dessin d'Anouk
1 commentaire:
Chapeau ! - Ismaël - pour ce texte remarquable digne d'un grand ecrivain voyageur! : et je ne plaisante pas !... Merci encore !... Longue vie à toi ... à nous tous, chacun ...
Michel Cusenier
PS :comme tu nous invites à relire les "Révoltés du Bounty" ... dis moi si tu as entendu parler de ce fantastique documentaire vu sur ARTE : " LA TRAQUE DES BRACONNIERS : Sea Shepherd à la poursuite du Thunder / Les justiciers des océans " diffusé il y a 2 mois : à votre retour vous pourrez voir un chef d'oeuvre du genre !!!...
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