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2 août 2016

Mercredi 13 juillet



Comme tous les matins, les premiers rayons du soleil ouvrent mes paupières et m’appellent sur le pont, alors que le reste de l’équipage est encore dans les bras douillets de Morphée. J’aime bien ce moment où le soleil est doux et donne au paysage des contrastes magnifiques. Aujourd’hui, c’est les îles Lavezzi qui sont le théâtre de ma contemplation matinale ; amas de blocs de granit gris, légèrement rosés, sculptés depuis des millénaires par le vent salé qui se concentre dans ce bout de mer entre Corse et Sardaigne. 
Une fois mes yeux remplis de la beauté de la nature, c’est le moment de les fermer pour entamer ma petite méditation du matin. C’est tout simple, juste observer ce qui se passe en moi… autant les idées qui y fleurissent que les sensations physiques. Cette pratique apaise l’esprit et le corps, par la prise de recul sur soi mais aussi sur les évènements, tout en dénouant les tensions. Je trouve que c’est important, quand on vit tout le temps avec d’autres gens, de s’octroyer des petits moments qui permettent de faire un pas de côté, d’observer les choses différemment.
Aujourd’hui, je ressens une certaine excitation… probablement due au vent que l’on entend enfin chanter dans les rochers et siffler dans les haubans, signe que la navigation du jour va changer de style. Dès le petit dej’ avalé et le bateau nettoyé, on lève l’ancre et on hisse la grand voile avec, pour la première fois, deux ris pris et la trinquette qui sort enfin de son sac. Le vent de force 6 à 7 soulève une petite houle qui, dès les premiers bords de près, offre une petite douche d’embruns à tout l’équipage. Se faire gentiment rincer quand il fait beau, c’est plutôt rigolo. Sur le pont, il y a celles et ceux qui ont plutôt la banane en s’amusant de ces conditions alors que pour d’autres, la t^te disparaît dans la grotte aménagée entre la capuche et el col du ciré.
Pour la part, j’aurais bien navigué toute la journée dans ces conditions ; d’autant qu’il y a une certaine émotion à retrouver cet espace de navigation qui fût l’endroit où, le jour de mon dernier anniversaire, j’ai été capitaine d’un voilier pour la première fois. Mais voilà, cette fois ce n’est pas moi, et le notre choisit un recoin de l’île sarde de San Stephano pour mettre le rafiot à l’abrit et manger tranquillement. Surtout que l’après-midi va se passer dans les carrés : à babord, la retranscription des textes déjà écrits et à tribord des entretiens entre l’équipe d’adultes et chaque jeune individuellement. On arrive en effet à la moitié de ce périple estival et, avant d’entamer le chemin du retour, il est temps de faire le point avec chacun et chacune sur ce stage. Au début, je ne suis pas très à l’aise dans cet exercice et je me cache un peu derrière mon stylo en prenants les notes sur le cahier. Mais finalement, je trouve plutôt chouette ces échanges où l’on parle de choses un peu plus sérieuses et profondes que lors des discussions du quotidien. Il y est question du stage mais surtout du grand voyage autour duquel se mêlent les envies et les peurs. L’envie de vivre une aventure extraordinaire, unique et la peur de se lancer dans cet inconnu qui va durer presque une année, avec des gens que l’on ne connaît pas encore très bien.

Chacun, chacune va devoir prendre une de ces décisions qui se présentent à chaque fois que, dans sa vie, un choix important doit être fait. Soit je reste à terre, dans ce quotidien rassurant que je connais, avec peu de chance d’évoluer et plutôt le risque de tourner en rond dans ses habitudes. Soit je lâche prise, je largue les amarres et je vogue avec ce bateau à la rencontre du monde, d’autres paysages, d’autres cultures, en apprenant à vivre avec chaque membre de cet équipage, ses joies et ses petites embrouilles qu’il faudra résoudre. Partir vers l’inconnu, c’est déstabilisant et çà demande des efforts d’adaptation. Mais c’est sans doute le meilleur moyen d’évoluer, de faire fonctionner son intelligence, de grandir, d’apprendre des autres et surtout sur soi-même.
Pour ma part, mon choix est fait. Il n’a pas été si facile. Il m’a fallut partir marcher seul dans la montagne pendant plusieurs jours avant de m’engager à être l’adulte qui participe à l’intégralité du voyage. Ce n’est pas pour moi un idéal absolu, mais je crois que l’idéal n’existe pas. Il y a toujours des choses qui ne sont pas comme on aimerait qu’elles soient, mais c’est toujours et partout comme çà. Par contre, cette opportunité de cette « petite » aventure est proche de quelque chose que j’ai un jour imaginé. Et comme les circonstances de l’existence m’ont fait monter à bord de ce voilier Grandeur Nature, c’est sûrement le signe que c’est ce que j’ai de mieux à faire de ma vie pour l’année à venir. A priori, une espèce d’ours solitaire des montagnes n’a pas grand chose à foutre sur une double coquille de noix traversant l’océan avec d’autres gens. Mais voilà, moi je trouve que ce qui fait la richesse de l’existence, c’est la nouveauté et la diversité des expériences. Alors j’ai fait le choix de quitter un moment les gens et les lieux que j’aime, de ne pas voir la neige de l’hiver, et de faire ce pas vers l’inconnu. Ceci afin de m’offrir une tranche de vie dont un jour j’ai rêvé, de la vivre et de la partager pleinement pour ne pas avoir, plus tard, à regretter de ne pas avoir osé.
Plus que de raconter une journée, ce petit texte est une invitation à la réflexion pour chaque membre de l’équipage. Celle de profiter de ces quelques jours qui restent avant le retour à Sète pour se poser les bonnes questions afin de prendre la bonne décision, celle qui ne fera pas regretter d’être rester à quai. Jacques

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